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Poème sans fin d'Allan Kartner
23 février 2020

Poème sans fin de 751 à 1000 vers

Source: Flickr

Pas un champ, pas un arbre, pas de poules

Pas de colombes, que l'ennui qui roucoule.

C'est cela qu'il n'aimait pas le Ferchaux,

C'est cela qu'il pensait sous le chapeau.

Car il était bien de la terre l'Antonin,

De cette terre grasse aux odeurs de purin,

Où vont les vaches, ruminantes des près,

Une brebis ou deux à demi égarées,

Les papillons qui volent sur le blé mûr,

Les moments d'extase, dans un air pur.

L'Antonin et ses lourds sabots de bois,

Emplis de paille par les temps froids,

Mon père assis sur le tracteur de fer,

Mon père dans les champs le regard fier,

Je vous ai dit, je l'admirais et l'admire encore',

Lui le paysan qui semait aux sillons de l'or.

Ne pensez pas que je fus heureux de partir,

Mais l'homme se doit de se construire,

Certes, je quittais comme un arbre mes racines,

Ce petit coin d'amour pour la vie que l'on devine,

J'allais sans me soucier du moindre retour,

J'allais vers l'Est, vers la naissance du jour.

Alors que se levait le vent sur la colline,

Disparaissaient lentement les brumes sur Louvine,

Du haut du chemin sur la terre encore humide,

J'apercevais, peu à peu, sous la nappe liquide,

Ici un toit, une maison, là l'église, le clocher,

Un arbre tordu, et son grand corps écorché,

Je voyais le champ et le ruisseau qui roule,

Le petit pont de pierre et l'eau qui s'écoule.

Descendant le sentier, dans la fraîcheur matinale

Je m'imaginais déjà une voûte, une cathédrale,

Un dôme transparent, un cœur de basilique,

J'entendais la voix, la belle voix magnifique

J'entendais, aussi, sous les autels figés,

Dans le silence trompeur, les âmes pleurer,

Les vautours tournoyer frappant de leurs ailes,

Les nuages dociles dans les cieux éternels,

Je sentais le combat du bien et du mal,

Comme l'haleine putride d'un vieux chacal,

Menant mes certitudes à la limite du doute,

L'homme de foi craignant que le diable l'envoûte.

Mes pensées vagabondes, j'entrais dans la ville,

Par une ruelle étroite, le cœur un peu fébrile

Les pavés n'y étaient plus, au sol du goudron

Et des branches de gui aux portes des maisons.

Venait dans le petit jour une odeur de pain,

De croissants, de chocolatines, de craquelins,

Un bruit de roues, un volet au vent claquant,

Un rayon de soleil sur un mur se déposant.

Quand le matin vous apporte ses langueurs,

Vous sentez la vie enivrée de lueurs,

Marcher avec vos pas au silence effacé,

Trouble des sens dans cette ruelle glacée.

J'avançais donc, mi-heureux, mi-peiné

Heureux de gagner un peu de liberté,

Peiné, et qui l'eut été moins que moi,

De laisser en arrière une adolescence de joie.
808

Certes, je ne montais pas la tête couronnée,

On ne m'arrêterait pas au mont des Oliviers,

Je ne me couvrais pas d'un linceul blanc,

J'allais sur la place tout doucement.

Je voulais encore profiter de ces heures

Me séparant du monde des prieurs,

Je voulais encore écouter la fontaine,

Me souvenir du ruisseau dans la plaine,

L'amour d'autrui m'avait mené jusqu'ici,

L'amour des hommes, l'amour des vies.

Qu'est-il de plus important à nos yeux,

Mortels que nous sommes, mon Dieu

Que de voir se répandre chaque jour,

Sur cette terre si dure les couleurs de l'amour ?

C'est pour cela, que les êtres de sang

Chassant de leur tréfonds le ressentiment,

Cette injure faite des douleurs du monde,

Voient le bonheur comme une onde.

Je poussais le portillon qui donnait sur le parc,

Hésitant, un instant, juste pour prendre mes marques,

Puis levai le nez vers le grand séminaire,

Et son toit de tuiles plates où glissait la lumière,

Peu à peu un pied après l'autre je m'approchai,

Les lanières de mon sac à dos m'écorchaient,

Tirant mes épaules fragiles vers l'arrière,

Je me sentais léger comme un tas de pierres.

L'ombre d'une seconde, j'allais faire demi-tour,

La seconde d'après, je m'avançais sans retour.

Sur la gauche une chapelle accrochée à la bâtisse,

À mi-hauteur une croix de fer au frontispice.

Devant à moi la porte à double battant de l'entrée,

De chaque côté deux anges empierrés.

Devant moi le silence, derrière un bruit de pas

« Donatien ! Je présume » susurra une voix,

« Je suis le père Claude. Fils, as-tu fait bon voyage ? »

Et montrant mon sac « Est-ce là tout ton bagage ? »

Je ne savais que répondre, seul un « Oui M'sieur »,

« Alors, entrons, mon fils, si Dieu le veut »

Si Dieu le veut ? Et s'il n'était point-là.

Si Dieu le veut ? Et s'il ne voulait pas.

Et si tout cela était absurde, si je me trompais,

S'il y avait erreur sur la personne que j'étais.

Le doute coulait avec ma sueur au front,

J'avais froid, j'avais chaud, car au fond,

Je ne savais pas vraiment ce que je faisais là,

Et pourquoi tout ceci et pourquoi tout cela.

Bien sûr je voulais m'occuper des misérables,

Je voulais aussi faire un monde honorable,

Mais j'avais la peur de ne pas pouvoir,

Cette indicible peur de ne pas savoir.

« Donatien ! Qu'attends-tu pour me suivre ?

Aller vers Dieu n'est pas se laisser vivre ».

« Oui Monsieur », « Père Claude ! Pas m'sieur »

me reprocha-t-il du fond de ses yeux.

Il passa le premier dans sa robe de bure,

Une corde de chanvre en guise de ceinture,

Poussa la porte, la tête sous le capuchon

Fit quelques pas, et nous y étions.

Je me l'étais imaginé bien autrement,

Le grand séminaire, chemin allant

Du haut de la colline, j'en avais vu le toit,

J'avais vu le clocher tel un beffroi,

J'avais même vu des mâchicoulis,

Des soldats, des armures, et tout ce qui s'ensuit.

J'avais cru voir en rang serré, une garnison,

Des chevaliers cathares dans l'horizon.

Mais rien en château de Carcassonne,

Et voilà. Juste une cloche qui sonne.

À l'intérieur, la lumière traversait la colonnade,

Éclairant le chemin et les bancs en enfilade,

Sous la voûte de pierres régnait le silence,

Peu à peu, venait à moi comme une évidence,

J'entrais en chrétienté dans l'antre monacal,

J'entrais en chrétienté pour le bien sans le mal.

Je le suivais sans mot dire, humant les senteurs

Au centre un petit jardin, ses bacs et ses fleurs,

Là même où j'allais passer bon nombre d'heures,

À penser, à prier pour des hommes qui pleurent.
886 
Allongé sur ma couche, je regardais,

Les volutes légères qui voltigeaient,

Mêlées aux toiles du plafond,

Ces souvenirs d'enfance qui vous font,

Le cœur serré quand on y songe,

Le cœur gonflé comme une éponge,

De ces larmes joyeuses qui sont autant,

De perles de pluie dans le printemps.

De mes pensées je remplissais le vide,

Dans la bouche un goût, un goût acide,

Celui de la tristesse coulant sa sève,

Dernier élan du dernier rêve.

Je regardais la neige tomber en flocons,

Poussée par le vent d'une morne saison,

Là, sur le paysage aux arbres morts

Je me souvenais et ne souvenais encore.

Je revoyais ma mère et son tablier,

Le vieux fourneau, des œufs, le sablier,

Un parfum de menthe, une peau d'orange,

Je revoyais Bénédicte, et vola un ange.

Il traversa la pièce, une ombre sur le mur

Me montra du doigt le morceau de pain dur,

Ma sœur, elle, trempait ses poupées au lavoir,

Les plongeant dans l'eau croupie sans savoir,

D'ailleurs, comment pouvait-elle imaginer ?

Qu'une poupée ne pouvait pas nager.

Et l'ange, toujours, tournoyait au plafond,

Me montrant, dépité, ce pauvre croûton,

Qui se traînait, sur le sol, près de mes mules,

Le manger ? L'avaler ? Ridicule.

Alors je le pris et le mis dans le tiroir,

Juste, là, caché pour ne plus le voir.

L'ange souriait, mais ne disait rien,

Se contentant d'un geste de la main.

Ma sœur, elle, riait d'un rire de folle,

Les yeux rouges, les cheveux qui collent,

Jetant en l'air ses poupées sans bras,

Elle se roulait à terre comme un cobra

Du haut de la colline, ma mère nous appelait,

En enroulant son châle, s'époumonait,

L'ange battait des ailes en pleine nuit,

Et les miettes de pain près de mon lit.

Allongé sur la couche, mon corps était froid,
930 
Je voyais des châteaux, une armée, un beffroi,

Je sentais monter la grande bataille,

De partout venaient les hommes épouvantails.

Des chevaliers, sans armures, rampaient sur le sol,

Les chevaux les suivaient, une araignée dans mon bol

L'ange souriait dans le coin du mur,

L'air était âcre, l'ange était pur.

Je ne dormais pas, je flottais d'extase,

Comme un oiseau voyageur quitte sa base,

Je m'engouffrais peu à peu dans les songes,

Les yeux demi-clos, mon cœur en éponge

Me revenaient à la mémoire, les jours d'ennui,

Les jours de joie, mes jours repris

Les jours aux douces promenades,

Où soufflait le vent, le chant d'une ballade.

Me revenaient, allongé sur cette couche humide,

Les moments gracieux des étoiles dans le vide,

Les nuits caressantes de l'enfance douce,

Sur le chemin désirable, les herbes, la mousse.

Et l'ange riait, maintenant, au fond de la pièce,

Muet, comme par habitude, de tendresse,

Car rien, ici-bas, ne fait parler les anges,

D'ailleurs, même ses ailes étaient étranges.

Je ne sais toujours pas s'il était véritable,

S'il était bien là, s'il était saisissable.

En fait, qu'importe, qu'il existe ou pas

Un ange passe et puis s'en va.

La nuit traîna ses longues heures,

Sur cette peau où les ombres effleurent,

Parfois, l'orage envahissait d'éclairs,

Mon cœur, mon âme, dans les enfers

Il me montrait ses nuages de brume noire,

Il tonnait jusqu'au-dessus de l'armoire,

S'effondrant sur le dossier de la chaise,

Levant la fièvre dans mon crâne de braise.

À d'autres instants, le ciel était bleu,

Le vent, sous ma porte, entrait savoureux,

Soufflait ici et là, sur le parquet verni,

Amenant le bonheur, et l'amour avec lui,

J'ai même entendu le bruit d'une branche,

Craquant sous mon pied, un jour de dimanche.

J'ai entendu ma mère dans un pot de confiture,

Mais c'était un rêve, une petite blessure

Le regret, sans doute, d'avoir tout quitté,

Un matin d'hiver, de l'avoir laissée,

Cette mère qui me donnait sans compter,

Ses sourires, sa quiétude, sa bonté,

Que je l'aime cette mère au souffle chaud,

Chantonnant le bonheur comme un oiseau,

De l'aube de ma vie jusqu'à mon dernier pas

Je sentirai son tendre parfum lilas.

Je verrai, toujours, sur son épaule rosée

Ce châle de laine beige et velouté.

Aller dans le jardin, glisser dans les allées,

Je la verrai aussi ramasser les brindilles brisées

De celles qui entourent les rosiers blancs,

La vigne sauvage, je la verrai dans le vent.

Et la nuit passa remplie de vagues trompeuses,

Une nuit sombre et fort mystérieuse,

Je somnolai dans des vapeurs de brume,

Attendant dans le noir que le jour s'allume.

L'aube mouvante traversait les vitraux,

Éclairant les tomettes, rasant le sol,

Une table colossale, des bancs, un fourneau,

Et vingt à trente âmes face à leur bol.

Le silence était de mise durant la prière,

Nous étions là, l'un près de l'autre, assis

Attendant, le plein clair, la pleine lumière,

Pour que le monastère reprenne sa vie.

1000...A SUIVRE

 

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Commentaires
Poème sans fin d'Allan Kartner
  • Chers lectrices et lecteurs. Après 40 ans d'écriture, poésie, nouvelles... J'ai constaté que tous mes poèmes , au bout du compte, ne faisaient qu'un. Donc, je n'écrirais, ici, qu'un seul et unique poème et SANS FIN. Il se terminera à ma fin. Bonne lect
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