Poème sans fin de 251 à 500 vers
J'aime ces vallées, sans âme qui vive.
Ces belles vallées que berce l'eau vive
Les ruisseaux à l'ombre des sapins
Qui se roulent dans le petit matin
J'aime sentir le parfum, l'élégance
Des fleurs qui s'ouvrent et qui dansent
Aux aurores les corolles à peine ouvertes
Sous l'astre des cieux d'une nuit inerte
J'aime la chevelure des feuillages penchés
Sur ces lieux de jouvence, mon coeur épanché
Ces endroits lancinants habillés de lumière
Le bruit d'un ruisseau, l'odeur de la terre
J'aime regarder la montagne encore vierge
Et imaginer en son sein les oiseaux qu'elle héberge
J'aime à vagabonder à la tiédeur matinale
Parmi les herbes folles et les fougères qui s'étalent
Respirer la pureté de l'air inlassablement
Marcher sans but pour me sentir vivant
J'aime ces moments de songes infinis
Oubliant, un peu, ma détresse, mon ennui.
Me reviennent pourtant, au fil de ces promenades
En image la décrespitude mortuaire des façades
Posées le long des avenues aux pavés glissants
Dans ces villes glauques au souffle gémissant
Là où les arbres se nourrissent de goudron
Dans des grillages d'acier comme en prison
Dans ces villes angoissées, aux poumons brûlés
Par cette pollution nauséeuse sournoise et trop avalées
Tant je reconnais le simple comme essentiel
Je ne comprends pas que l'on puisse gratter le ciel
Que l'on se permettre d'outrager la nature
Aux immeubles crasseux je préfère ma masure.
Je me perds peut-être dans mes utopies
A vouloir ce monde de lumière ébloui
Mais quoi de mieux pour vivre vraiment
Que d'admirer un paysage renaître au printemps
Que de suivre des yeux les hirondelles en voltige
Et de frôler une fleur au bout de sa tige
Alors que, là-bas, sur l'asphalte fétide
Ne vont que des rats rampants et putrides
Que des chats aux allures de petits diables
Des hommes, des femmes mal aimables
Je sais ce que vous pensez, quand je dis cela
Que je ne suis rien d'autre qu'un scélérat
Que je fais parti de ces mécréants obtus
Qui ne cuisent pas la viande et la mangent crue
Et bien, pour vous conforter, vous avez raison
Je n'aime me délecter que de vrais champignons
Et non de ceux qui grandissent dans les villes
En Poussant les nuages pour les rendre dociles
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Ne voyez-vous pas, au coin de votre rue
La contenu des poubelles sur le sol épandue
Comme des vomissures d'un monde perdu
Dans les noirceurs, les ténèbres, le corps fendu
Il serait pourtant honnête de ma part d'admettre
Qu'il est dans Paris des images moins piètres
Que des quartiers harmonieux existent
Des villages de rêves où sont des artistes
Je prends, Montmartre, pour exemple évident
La beau sacré-coeur et ses petits dômes blancs
En haut de ces marches que les herbes côtoient
Qui nous donne le sentiment, d'avoir la foi
Souvent je suis monté par le funiculaire
Pour voir de là-haut la ville entière
Pour regarder les voyageurs asiatiques
Bardés d'appareils photographiques
Les entendre parler, en riant, le mandarin
Cette langue semblable au vent des embruns
Souvent j'ai marché dans ces rues exotiques
Remontant les pavés dans des rêves antiques
Non ceux de la Grèce ou de l'Égypte ancienne
De Rome ou de cette Babylone mésopotamienne
Juste à entrevoir sous la lueur des lampions
Dans une calèche le grand Champollion.
Où plus loin au bateau-lavoir, un Picasso
Et ses demoiselles d'Avignon sous le pinceau
J'ai toujours eu l'impression sur la petite place
Que tout s'arrêtait le temps que je passe
Que les Toulouse-Lautrec, Corot et autre Vernet
Rebouchaient leurs tubes quand j'y venais
Que leurs mains de génie lècheuses
de toiles
Montaient vers le ciel pour toucher les étoiles
J'ai dans le sang, l'humeur vagabonde
Et vois la terre plus plate que ronde
Voyez ce que l'imagination à d'étrangetés
Elle confond parfois rêve et réalité
Mêlant l'hier, l'aujourd'hui et le demain
En un seul, unique, impensable dessin
Elle envahit les cerveaux déraisonnables
Faisant jaillir des roses sur les branches d'érable
Elle fouille dans la caverne des songes
Et l'éphémère, par plaisir, elle l'allonge
Il n'y a pas d'ombre sans lumière dit-on
Pas de butte Montmartre sans accordéon
Où serait-ce le son suave d'un violon
Car le chat noir, ne peut-être qu'une chanson
Je me souviens de ce jour où j'ai croisé
Près du moulin rouge cette fille élancée
Aux yeux que les vagues claires jalouses
Aussi fraîche que la rosée des
pelouses
Ces bottines telle une horloge sonnaient
A chaque pas léger gracieux qu'elle faisait
J'étais redevenu enfant devant des friandises
Mais amant déchu quand s'éloigna la gourmandise
J'ai tenté de la suivre discrètement, distant
Et elle disparue au coin du chemin Guersant
En laissant dans l'air un instant les fragrances
D'un patchouli entêtant qui enivrait tous mes sens
J'avais espéré une seconde seulement
Qu'elle se retourne sur moi simplement
Que je puisse entrevoir son visage
Juste pour me souvenir de son image
Pardonnez les égarements de mon âme rêveuse
De là où je suis assis sur ma chauffeuse
Malgré une cheminée que les cendres rougeoient
Emmitouflé dans mon plaid j'ai froid
Jusque là toutes mes lignes me semblent bien fades
Pas l'ombre véritable d'une belle escapade
Pas un souffle, une étincelle de poésie
Que des propos sans emphase qui m'ennuient
Je me demande s'il est utile de continuer
Tant mes écrits paraissent désuets
Mais il faut que j'insiste pour sûr
A présent que je suis face à ce mur
Le jour viendra j'en suis convaincu
Où tout ce que vous dit sera reconnu
Alors que je ne serai plus sur cette basse terre
Car tout poète ne devient grand qu'au cimetière
L'important, malgré tout, n'est-il pas ?
La délicatesse, le parfum du réséda
Qu'un ruisseau traverse une vallée d'ivresse
Au flan de cette montagne qu'il caresse
Je perçois le frétillement de mes souvenirs perdus
Venir frapper de son glaive pointu
Ce doute malicieux qui me morfond
Sous les toiles d'araignées du plafond
Je sens tout le salon et son parquet qui bougent
Le jaune pâle des flammes devient rouge
Les bougies crachent leur souffle noir
Une porte claque au bout du couloir
La nuit va-t-elle me retenir dans ses bras?
Sournoise qu'elle est, nourisseuse de rats
Vais-je tomber dans les tourments et la torture ?
Sur les murs traînent, déjà, les traces de moisissures
J'ai beau me révolter, une araignée passe
Le jour s'éloigne d'un coup franc, s'efface
Je regrette soudain de pas être ailleurs
Que dans cette obscurité qui frappe mon coeur
Ce silence lourd me terrifie, m'alarme
Sur ma joue coulent, une à une, les larmes
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Et me voilà enclin à l'érosion de mes sens
Mon corps dans les flétrissures est en transe
Je n'aime guère faire aller le tisonnier dans les cendres
La peur intestine que le diable vienne le prendre
L'hivers et ses arbres gelés entrent par la porte
La fenêtre est ouverte et l'angoisse m'emporte
Je me raccroche comme je peux aux jours passés
Tant je crains que demain ils soient effacés
Que la brume matinale les cache à mes yeux
Je crains que demain je devienne trop vieux
Pour espérer encore voir les plumes soyeuses
Voler aux vents de cette nature si précieuse
J'aimerais, si vous me le permettez, prendre le temps
De vous racontez ma vie, ma jeunesse d'avant
Quand le soleil à l'aube se rallumait
Quand l'herbe et la mousse s'aimaient
Car jadis les clairières regorgeaient de bonté
De joie, de sagesse, de douceur, de volupté
J'aimerais, mais serait-ce trop demander
A vous, qui, de la pénombre descendez
Vous savoir écouter la voix magistrale
Monter à l'horizon son opéra matinales
Pour tout dire de cette époque révolue
Où sur les sentiers allaient chevaux et charrues
Que les cantonniers saluaient d'un geste furtif
Dans cette campagne radieuse d'où je suis natif
Je vous montrerai pousser en abondance
Le blé encore sauvage dans des champs immenses
Je vous parlerai à l'oreille de cette campagne
Qui, jours et nuits durant, vous accompagne
De ma jeunesse qui fit en ces temps ce que je suis
De tout ce que j'aime et ce que je fuis
La demeure avait, la couleur et les charmes d'antan,
On y venait à pied, au bout d'un long chemin
Parsemé, çà et là, de quelques rosiers grimpants
Sur deux murs en pierre qui menaient au jardin.
Après avoir passé le grand portail de chêne,
On apercevait, derrière les arbres, la terrasse,
Sur la gauche un petit puits, un saut à la chaîne,
À droite, un potager, des salades et des limaces,
Quand on s'avançait, plus encore, on pouvait voir,
Une bicyclette posée sur le dos d'un banc,
Une vieille charrue non loin du lavoir,
Alors que tout semblait figé, tout était vivant.
Cette demeure, qu'habitèrent mes aïeuls
Pendant nombre d'années, jusqu'à mes parents
Avait rendu un petit monde, infiniment heureux,
Des hommes, des femmes, et leurs enfants.
Plus d'une fois, je suis venu me promener,
Moi, qui suis parti pour la grande ville
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Et combien de fois ? En ces lieux, j'ai retrouvé,
Mon âme enfantine, ma belle âme tranquille.
Je me suis promené, parmi les herbes folles
Fît le tour du bassin où les nénuphars,
Voguaient doucement comme des êtres frivoles,
Sur les eaux langoureuses au-dessus des têtards.
J'ai, souvent, rêvé de gloire et de fortune,
Mais mes parents n'étaient que paysans,
Et s'ils avaient su me décrocher la lune,
Je ne les aurais pas moins aimés pour autant.
Ils n'allaient guère à la messe, je l'ai vu,
Pour sûr ils se rendaient à confesse,
Une fois par an, pas beaucoup plus,
Juste pour Noël comme à la kermesse.
Ne pensez pas qu'ils ne croyaient pas en Dieu
Pour preuve, ils suivaient tous les enterrements,
Ils suivaient, avec les voisins, les larmes aux yeux
On aurait dit des pèlerins ou des pénitents.
Mais ce dont ils s'occupaient avec délice,
Quand ils avaient du temps, un peu, le soir,
C'était, quand le ciel était propice
Alors que sur le banc j'allais m'asseoir,
Le petit jardin aux mille et une saisons,
Le printemps, le printemps et encore le printemps,
Car tous les hivers, on les passait au tison,
Et au jardin, c'était au joyeux printemps
Il y avait là, des pies pour manger les fraises,
De grandes fleurs, que l'on m'a dit être des lys
Un tas de bûches en attente de braise,
Et des pommiers, il y en avait plus de dix.
À la naissance de Bénédicte, ma sœur
À mi-chemin entre la maison et le portail,
On avait planté tout à son honneur,
Une multitude de pieds de roses en éventail.
Cela paraissait bizarre à ceux qui venaient là,
Drôle de manière que de les mettre ainsi,
On avait beau dire. C'était comme ça.
On avait beau faire. C'était comme si.
Nul ne pouvait discuter l'œuvre de mon père,
Il avait sa raison pour la chose faite,
En parler faisait monter sa colère,
Valait mieux le laisser à sa brouette.
Le jardin avait ses deux mille mètres,
Cerclé d'une immense haie de ronces pointues
Derrière trônait une forêt de chênes et de hêtres,
Tout cela, peut-être, pour ne pas être vu.
Alors, qu'aujourd'hui, il est bon de se montrer,
En ce temps-là, il en était tout autrement,
Le soir on fermait portes et volets,
On ne sortait pas, on restait dedans.
500...A SUIVRE
AK TDR