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Poème sans fin d'Allan Kartner
22 février 2020

Poème sans fin de 501 à 750 vers

Source: Flickr

Le jardin avait belle allure et sentait bon,

Sentait la douceur de la prune, du figuier

Une terrasse et trois marches vers le perron,

De grands bacs fleuris sur le palier

C'est ainsi qu'elle vous accueillait chaque jour,

Dans les parfums suaves de la nature,

Offrant à vos yeux les couleurs de l'amour,

La maison de mon enfance si pure.

Installé sur le seuil, le gardien des lieux

Une sorte de griffon aux yeux de chat,

Un chien ordinaire et fort paresseux,

Tant et tant paresseux qu'il n'aboyait pas.

À peine un râle quand venait sa pitance,

Je crois qu'il bougeait la queue par instinct,

Passant le plus clair de son temps en somnolence,

Couché sur sa paillasse, il dormait sans fin.

Une fois enjambé le molosse grisonnant,

L'avoir enjambé, sans faire de bruit

On pouvait apercevoir dans l'entrebâillement

De la porte d'entrée le souffle de la vie.

Au sol, des pavés, jusque sur le fond,

Une pièce immense, au milieu de laquelle,

Trônait comme trône dans un donjon,

Une cheminée aux braises éternelles.

Cette cheminée était le centre de tout,

On s'asseyait à l'intérieur pour se réchauffer,

On y cuisait des poulets, des soupes, du ragoût

On y grillait, aussi, des moutons sur pieds.

Dans l'imagination de mes jeunes années,

Elle ressemblait au château du roi ratatouille

J'y voyais des mâchicoulis et des épées,

Des seigneurs à cheval sur des quenouilles.

J'y voyais des carottes habillées en soldat,

Des poireaux se plaignant dans l'eau bouillante,

Je voyais, ma mère, mener le combat,

Et des navets mourir de mort lente.

La jeunesse a bien des démences, des délires

Et les miens fort haut-dessus de tout,

Pour moi le jardin n'était qu'un empire,

Et la maison, le donjon d'un seigneur fou.

Je vous entends déjà me dire, mes amis,

Mais où va-t-il ? De quoi nous parle-t-il ?

Alors que vous étiez à quelques phrases d'ici,

Dans ce doux jardin, serein et tranquille.

Je sais que pour vous, le chien dort toujours

Que les roses s'éveillent aux lueurs du matin,

Que les bois, le bassin s'arrosent du jour,

Le buffet de la nature ouvert au festin.

La maison puisque l'on parle d'elle,

Avait sous un toit de chaume des murs blancs,

De petites fenêtres, des rideaux en dentelle

De petits carreaux tout simplement.

Elle avait, à sa manière, ses guirlandes,

Remontant au chambranle de la porte d'entrée,

De ces lierres envahissants et qui se pendent,

En arrivant sur le haut de la façade ombragée.

À l'intérieur une pièce principale pour accueillir,

Une table rustique et ses chaises de paille,

Un vaisselier où s'alignaient les souvenirs,

Limoges, les porcelaines, une photo de Versailles.

Il y avait, aussi, ce parfum qui vous prenait,

À l'instant même où vous entriez dans les lieux,

Un parfum délicat, léger, qui s'envolait,

Une odeur de lavande, le parfum des Dieux.

Quand Adrienne, ma mère, faisait ses confitures,

Les vapeurs de fraises, d'oranges s'y mêlaient,

Gagnant, pour un temps, toute la masure,

Me montant aux narines elles m'enivraient.

Et tout cela dans de jolis pots en verre,

Qu'elle recouvrait d'une rondelle de cire blanche,

Ma sœur, elle, les alignait sur les étagères,

Toujours le matin, toujours un dimanche.

Des confitures elle en faisait plus que des tonnes,

Pour nous, pour elle, pour les voisins, pour les passants,

Quand j'y pense aujourd'hui, je la soupçonne

D'en avoir fait, aussi, pour le curé de temps en temps

Pour compenser, sans doute, nos absences à la messe,

Chose inconcevable dans ces petits villages

Où le labeur fini il était bon d'aller à confesse

Quel que soit le jour, quel que soit son âge.

Au fond nous étions un peu athées, je crois

Juste un peu pour ne pas avoir d'obligation,

Nous avions notre propre sens de la foi,

Plus faite d'amour que de compassion.

Le soir à la table on ne priait pas avant de souper,

Mon père passait bien le couteau sous le pain,

Peut-être pour voir s'il était affûté,

Où simplement par habitude, par instinct.

Mon père était peu bavard, l'opposé de maman

Il prenait sa place, sortait son opinel

Et nous regardait un à un en souriant,

Considérant qu'il était là, l'essentiel.
594

Dans cette classe de blouses noires,

Au grand tableau et aux murs salis,

Je n'inventais de drôles d'histoires,

En regardant le vent pousser la pluie,

Des chevaliers au milieu de la cour,

Frappant le pavé sur leur monture hennissante,
600 
Frappant une à une de leur glaive lourd,

La tête des pauvres à la voix gémissante.

Je voyais des miséreux à genoux,

Alors que mes camarades ne voyaient rien,

Devant mes yeux la douleur était partout,

Un cauchemar dans mon chagrin.

Ainsi que je passais des jours entiers

Assis au pupitre de l'école publique,

À imaginer sans fin des armées de cavaliers,

Une horde de malins aux yeux lubriques.

Parfois, tapant de sa règle d'acier sur le bureau,

Monsieur Vermois me rappelait les convenances,

- Donatien ! Où êtes-vous ? Encore, là-haut ? -

- Écoutez, étudiez et cessez cette nonchalance -

Mes camarades riaient à plaisir,

Plaisir d'enfants à l'esprit moqueur,

Quand il m'envoyait au fond pour me punir,

Que je baissais le nez, gardant mes pleurs.

Les journées étaient longues entre les murs,

Alors que je ne songeais qu'à gambader

Qu'à courir par les collines où l'air est pur,

Alors que je ne pensais qu'à m'évader.

Le jeudi, avec Bénédicte, le goûter à la main,

Elle, avec sa poupée et moi, mon sac de billes,

Nous montions sous l'ombrage du chemin,

Menant nos enquêtes à la Rouletabille,

Là, un trou, en contrebas, dans le fossé,

Celui d'un lapin, peut-être, d'une vipère,

D'un rat des champs, ou alors qui sait ?

Un trou noir, le gouffre aux mystères.

Plus loin, parmi les ronces, de vieilles pierres

Les restes d'une maison effondrée,

Effondrée sous les bombes de guerre,

La grande ou la dernière, le passé.

Nous allions, ainsi, quel que fût le temps,

Été comme hiver, sans voir personne,

Cueillir des fraises des bois au printemps,

Où ramasser des châtaignes à l'automne.

Nous étions libres de rêver et de crier,

Par les coteaux, jetant des cailloux,

Moi, et mes billes, elle, et sa poupée,

Cherchant d'autres pierres ou d'autres trous.

Nous avions la joie de l'insouciance,

Le désir impérieux de découvrir,

Le jeudi, c'était jour de vacances,

Le jour magique de tous les plaisirs.

La confiture coulait entre nos doigts,

Que nous léchions, ensuite, avec bonheur

Elle collait même au bout de bois,

Aux feuilles mortes, aux tiges des fleurs.

Je me souviens, que ma petite sœur,

Qui avait alors tout juste six ans,

Parfois, gesticulait et hurlait de peur,

Quand une araignée montrait ses dents.

Je me souviens, du renard sur le sentier

De ses yeux noirs, de son poil roux

J'ai, en mémoire, l'odeur de l'églantier,

Je me souviens de presque tout.

Je me souviens, je me souviens

De ces journées magnifiques,

Quand nous allions dès le matin,

Ma sœur et moi dans des lieux magiques.

De cette clairière aux herbes folles,

Où nous nous posions pour écouter,

Le vent dans les branches, l'oiseau qui vole

Tout en mangeant notre goûter.

On entendait la charrue du père,

Passer, au loin, sur le chemin,

Que n'accompagnait jamais ma mère,

Que n'accompagnait jamais quelqu'un.

Mon père et sa veste de soldat,

Grise comme un ciel sans lumière,

Mon père, ses médailles, ici et là

Car, le Jojo, lui, il avait fait la guerre,

Enfin, la guerre, à sa façon,

Menant son combat dans les arrières,

Menant sa guerre dans les buissons.

Mon père avait fait sa propre guerre.

C'est, en cela, qu'il était respectable,

Ce père, qui nous parlait si peu.

Il était paysan, mais on l'eut cru notable,

Ce père ne parlant qu'avec les yeux.

C'est au jardin que je le voyais le plus,

Dès cinq heures du soir jusqu'à la nuit,

Passant et repassant le potager en revue,

C'est avec les mains qu'il avait tout appris.

Ce père qui roulait ses cigarettes,

En sifflant le chant des partisans,

Ce père, un béret noir sur la tête

Et qui boitait tout en marchant.

Me revient, aussi, de ce passé,

De ces beaux jours de mon enfance,

Ma douce mère pour m'embrasser,

Ma douce mère à qui je pense.
694 
Puis il y eut ce matin froid, glaçant jusqu'aux os

Figeant les visages, martyrisant la peau.

Un matin fait de neige tombée d'on ne sait où,

Un matin piquant comme la pointe d'un clou,

Il est arrivé sans crier gare venant d'une sale nuit,

Il est arrivé l'air de rien sur nos petites vies,

Il est arrivé sans crier gare venant d'une sale nuit,

Il est arrivé l'air de rien sur nos petites vies,

Un foutu matin que je ne souhaite à personne,

Un matin dans un bruit de cloche qui sonne,

Il est arrivé telle une ombre traînarde,

Venant du chemin chez nous par mégarde,

Certes il ne voulait pas nous faire de mal,

Il souhaitait simplement descendre le val,

Glisser de la colline en toute discrétion,

Allumer joyeux l'espace à nos visions.

Mais il est tombé, venu, dans un mauvais jour

Il est tombé sur la maison sur les labours.

C'était un matin de l'hiver 1952,

Un 24 d'un mois de décembre brumeux,

La nature avait pris sa position de dormeuse,

Les sillons étaient durs et la terre caillouteuse,

Partout le même silence s'en allait gambader,

À travers les futaies aux arbres défeuillés,

C'était un matin, un matin qui dérange

Où l'on ne sent plus la chaleur des anges,

Je sais après tout, qu'il eut été différent,

Ce jour où je vis ma famille pleurant,

Si j'avais décidé d'être un bon petit,

De reprendre la ferme et tout ce qui s'en suit,

Mais que voulez-vous, on dit que c'est le destin

Que les plus belles choses meurent à la fin,

On dit aussi "a chacun son existence"

On dit aussi « à chacun sa chance ».

C'est ainsi qu'en ce jour de douleur,

J'abandonnais, mes parents et ma sœur,

Laissant derrière moi, mes années de jeunesse,

Mes courses dans les champs, mon allégresse,

Et tout cela par pur amour de l'humanité,

J'allais faire mes vœux, mes vœux de chasteté.

On m'attendait, là-bas, au grand séminaire,

Ô pas une foule, juste Dieu, le Saint-Père.

Et, oui, vous l'avez fort bien compris,

J'allais chercher un bout du paradis,

Pour le prendre dans mes mains de seize ans,

Et l'apporter à ces hommes que l'on dit mendiants,

À ces âmes si pauvres qu'elles survivent à peine,

Que même le sang ne coule plus dans leurs veines,

J'allais en ce matin sur le sentier de ma vie,

Avec pour tout bagage un cœur qui sourit.

Tournant le dos à mon enfance dorée,

Là-bas, au séminaire, pour devenir curé.

Imaginez, un instant, l'horreur pour mon père,

Son fils unique comme une terre en jachère,

Allant vers la ville puante où le rat court,

Cette ville qui n'a même pas de basse-cour,
750

...A SUIVRE

AK TDR

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Commentaires
Poème sans fin d'Allan Kartner
  • Chers lectrices et lecteurs. Après 40 ans d'écriture, poésie, nouvelles... J'ai constaté que tous mes poèmes , au bout du compte, ne faisaient qu'un. Donc, je n'écrirais, ici, qu'un seul et unique poème et SANS FIN. Il se terminera à ma fin. Bonne lect
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